Akin v. Turkey (Application no 58026/12)
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50. … La Cour estime particulièrement important de souligner que lorsqu’un individu est privé de sa liberté ou, plus généralement, se trouve confronté à des agents des forces de l’ordre, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par cette disposition. La Cour souligne que l’on ne saurait voir dans les mots « en principe » l’indication qu’il y aurait des situations où une telle conclusion de violation ne s’imposerait pas parce que le seuil de gravité ne serait pas atteint. En affectant la dignité humaine, c’est l’essence même de la Convention que l’on touche. Pour cette raison, toute conduite des forces de l’ordre à l’encontre d’une personne qui porte atteinte à la dignité humaine constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Il en va en particulier ainsi de l’utilisation par elles de la force physique à l’égard d’un individu alors que cela n’est pas rendu strictement nécessaire par son comportement, quel que soit l’impact que cela a eu par ailleurs sur l’intéressé (Bouyid précité, §§ 100-101, Pranjić-M-Lukić c. Bosnie-Herzégovine, no 4938/16, §§ 73 et 82, 2 juin 2020).
53. Tel qu’indiqué ci-dessus, la Cour a dit à maintes reprises que lorsqu’un agent des forces de l’ordre est accusé d’actes contraires à l’article 3, la procédure ou la condamnation ne peuvent être rendues caduques par le jeu de la prescription (paragraphe 37 ci-dessus et les références qui y figurent). En l’espèce, malgré le comportement du requérant et de son avocat, lesquels n’ont pas participé à plusieurs audiences et n’ont pas pu immédiatement présenter leur témoin, la Cour souligne à nouveau que lorsqu’il s’agit d’une enquête relative à des allégations de mauvais traitements commis par les forces de l’ordre, l’obligation positive de mener une enquête effective requiert une promptitude et une diligence de la part de l’État. Cette enquête est à la charge des autorités judiciaires nationales, lesquelles sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires afin de clore la procédure avant que l’action pénale soit éteinte par la prescription. La Cour note en particulier qu’en l’occurrence, il a fallu environ cinq ans aux autorités d’enquête pour trouver des preuves contre l’agent E.S. afin de déclencher la deuxième procédure susmentionnée. Ensuite, tant pour la première que pour la seconde procédure, plus de deux ans se sont écoulés avant que la Cour de cassation ne se prononce sur ces procédures (paragraphes 16-17 et 19-20). Des motifs raisonnables n’ont pas été avancés par le Gouvernement pour expliquer ces délais excessifs.
54. Ainsi, la Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas pris toutes les mesures positives nécessaires pour agir avec une promptitude suffisante et une diligence raisonnable dans cette affaire. Ce manquement dans la conduite de l’enquête a eu pour conséquence d’accorder une impunité au policier concerné et de rendre la plainte pénale ineffective.
55. Lesconsidérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, sous ses volets matériel et procédural.